A Paris avec Paulo Furtado


En pleine tournée européenne, Paulo Furtado nous reçoit par une douce fin d'après-midi d'octobre. Après Londres, Amsterdam et Bruxelles, il est ce soir à Paris pour une date unique à la Maroquinerie. Le concert affiche complet, signe du succès et du respect que suscite l'artiste auprès du public français. Installé à une table dans le patio de la salle, il se plie aux traditionnelles séances d'interviews. Entre musique, cinéma, poésie et crise économique Paulo Furtado se dévoile et parle de ses futurs projets. Quelques heures plus tard, accompagné par Paulo Segadães, à la batterie, et João Cabrita, au saxophone, il donnera un concert fou dont le public se souviendra très longtemps.

La première partie de sa tournée s'achève le 11 octobre à Angoulême. Il reviendra début novembre avec des concerts à Pau le 3, Toulouse le 4, Nantes le 5, Rennes le 6, Quessoy le 8, Chabeuil le 10, St Germain en Laye le 12, Genève le 13, Annecy le 14, Mâcon le 15 et enfin Zurich le 16.

Photo: David Rito (merci de respecter le travail du photographe et de ne pas utiliser cette photo sans son accord)

Luso Sounds: Ton dernier disque, sorti en mars, est sans doute le plus sombre de ta discographie. Il a pourtant été très bien reçu aussi bien par la critique que par le public. Comment tu l'expliques?

Paulo Furtado: Il y a sans doute plusieurs raisons à cela. Cette ambiance a beaucoup à voir avec mon état d'esprit au moment de l'enregistrement du disque et aux crises économiques et politiques que traverse le Portugal. Il y a une perte confiance généralisée, qui a même tendance à empirer, et qui me touche naturellement en tant que portugais. C'est une période sombre. Les portugais sont d'une façon générale découragés et n'ont plus confiance en la politique et ceux qui la font. C'est un disque qui colle à son époque. Je fais quelques allusions à cette situation dans mes chansons et, bien que je cherche à préserver l'artistique à part, je finis toujours par en parler à un moment ou à un autre pour alerter et tenter d'attirer l'attention sur cette crise. Par contre, avec le recul je ne le trouve aujourd'hui plus aussi sombre qu'à sa sortie et je dirai même qu'il porte une certaine dose d'espoir.


Jusqu'à ce disque tu as toujours été seul derrière Legendary Tigerman. Même sur ce disque, j'ai lu que tu avais réalisé une première version seul qui aurait du sortir en septembre, et que tu as fini par la retoucher en t'entourant d'autres personnes. Est-ce que ça a été un choix de ta part ou plutôt quelque chose qui s'imposait pour permettre à Legendary Tigerman d'avancer?

Il y a des deux. Ouvrir ma musique est quelque chose que j'ai commencé à faire sur Fémina.  Dès la naissance du disque, les chansons étaient prévues pour les invitées dans le but d'une collaboration. C'était donc quelque chose de voulu, dés le départ. Sur True le processus a été en quelque sorte inversé. Je me suis d'abord beaucoup isolé, j'ai composé pour moi et uniquement pour moi, ne serait-ce que pour comprendre ce que je voulais dire et comment j'allais le dire. C'est ensuite que j'ai vu que quelque chose manquait à certaines chansons. C'est comme ça que j'en suis venu à inviter João Cabrita et Rita Redshoes pour faire des arrangements. Leur apport a permis de diversifier davantage l'album. Certaines chansons sont restées dans un esprit très "One Man Band" et d'autres ont été enrichies grâce à la participation de ces invités. 


Et cet enrichissement va se retrouver également sur scène? Par exemple ce soir tu as Paulo Segadães mais aussi João Cabrita qui t'accompagnent. Certaines chansons de True vont donc avoir un nouvel habillage mais je suppose que c'est aussi valable pour des chansons de tes précédents disques?

Tout à fait. Et la façon de jouer va évoluer d'un concert à l'autre. Ce soir, on est en trio, sur la tournée portugaise on est essentiellement en trio aussi mais sur la plupart des autres dates européennes on sera en duo. Dernièrement j'ai fait un concert spécial avec un quartet de cordes, un chœur, etc... C'est différent à chaque fois et c'est ce qui est intéressant.


Dans ta musique et dans ton univers, on note une grande ouverture au cinéma...

Oui c'est quelque chose qui est effectivement très présent sur ce nouveau projet, lequel m'a aussi permis de réaliser plusieurs court-métrages. C'est clairement une direction que je suis entrain de prendre depuis plusieurs années. J'ai par exemple réalisé plusieurs bandes-originales de film en collaboration avec Rita Redshoes, on vient d'ailleurs d'en finir une pour un film d'animation. Je travaille également sur le prochain film de Rodrigo Areias "Ornamento e Crime" qui sortira l'an prochain (NDLR: Paulo a déjà composé les BO de "Tebas" et "Estrada de Palha" du même réalisateur). Pour ce qui est de la réalisation je suis entrain d'écrire mon premier film qui sera complètement éloigné de l'univers musical. J'espère pouvoir commencer à le tourner dès l'année prochaine ou au plus tard l'année suivante.


Ce qui m'amène à la question suivante: j'ai lu dans un article de Libération que le film avait un lien avec le milieu psychiatrique. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus?

En fait je suis passionné par l'art brut depuis de nombreuses années. J'ai mené beaucoup de recherches sur ce sujet lors de la sortie de mon précédent album avec Wraygunn, qui a d'ailleurs fini par s'appeler "Art Brut". Dans ces recherches j'ai eu la chance d'avoir accès à des documents rares et très intéressants. Il s'agissait de dessins réalisées par des personnes internées en hôpital psychiatrique ainsi que les rapports médicaux correspondants. En les étudiant, tu découvres une réalité dans laquelle cohabitent plusieurs réalités: celle du patient malade mais qui s'exprime à travers l'art puis celle, plus froide, qui est l'analyse médicale de ces dessins et la tentative de comprendre ce qu'ils signifient. Le film que j'écris va donc s'inspirer de cet univers et des différentes réalités qui peuvent cohabiter dans une seule et même personne.


J'ai lu également que tu écrivais de la poésie en portugais, chose que tu ne fais jamais dans tes projets musicaux où tu privilégies l'anglais. Tu as l'intention de publier ces poèmes un jour?

A vrai dire je ne sais pas encore. Pour le moment je me contente d'écrire. Peut-être que ce sera publié un jour. J'ai également commencé à écrire des chroniques hebdomadaires pour le journal Publico. Ecrire est quelque chose que je fais depuis très longtemps, c'est quelque chose que je ne maîtrise pas encore totalement. Je ne suis pas pressé, je préfère donc prendre mon temps et faire les choses correctement plutôt que les bâcler. 


Le public français a souvent montré une grande attention à tes activités que ce soit en solo ou avec Wraygunn. Tu as trouvé une explication à ça? 

Je pense que ça a un rapport à une certaine tradition rock en France, du fait que beaucoup de français aiment le rock et comprennent sans doute mieux ce que je fais. C'est une approche de la musique qu'il y a ici en France et qui existe moins au Portugal par exemple. Le public qui vient à mes concerts en France a entre 15 et plus de 60 ans, tu y retrouves des gens dont tu devines qu'ils écoutent du rock depuis très longtemps et qu'ils continuent à aller voir des concerts de rock. Tu ne vois pas ça au Portugal. Sans doute aussi à cause de la dictature. La génération de mes parents n'avait pas accès ou n'avait pas la même ouverture au rock des années 60/70. Il y aussi des choses qui se font ici parce qu'il y a des personnes qui croient en ce que je fais et qui font en sorte de l'amener aux autres. C'est quelque chose tend  à se produire dans d'autres pays européens et c'est bien sûr très positif.


En tant qu'artiste portugais qui tourne depuis de nombreuses années en Europe et dans le monde entier, est-ce que tu as ressenti un changement dans la façon avec laquelle le public voit la nouvelle génération d'artistes portugais?

Oui et de deux façons différentes. D'abord parce qu'il y a malheureusement de plus en plus de jeunes portugais  qui viennent assister à mes concerts. Et je dis malheureusement car pour beaucoup ce sont des personnes qui ont été contraintes d'émigrer. La plupart de ces personnes avec lesquelles j'ai pu discuter, et elles sont nombreuses, ne sont pas heureuses d'avoir du émigrer. Ils auraient aimé rester au Portugal mais c'était tout simplement impossible à cause de la crise, du manque de travail ou des conditions de vie. D'un autre côté, je crois que le public en général connaît quelques noms. On cite par exemple Buraka Som Sistema, Dead Combo, Moonspell, Rita Redshoes. Bien sûr le Fado reste le style musical portugais le plus connu à l'étranger. Amália continue à être le nom le plus connu, ce qui explique aussi que soient principalement les voix féminines du Fado qui ont tendance à avoir le plus de succès. Camané par exemple n'a pas encore réussit la carrière internationale qu'il mérite. Il est, pour moi, actuellement l'un des interprètes de Fado les plus talentueux, voire le meilleur. En tout cas c'est bon de voir que le public commence à se rendre compte qu'il y a plein de styles musicaux différents au Portugal. La percée du rock portugais n'a pas éteint le Fado, le Fado n'occulte pas les autres styles, tous cohabitent et prennent de l'ampleur à l'international.



C'est bon d'entendre ça...

Oui et pour ma part j'ai un profond respect pour toutes les musiques qui sont faites avec le cœur et honnêteté. Il y a beaucoup d'artistes dans le Fado qui chante avec le coeur. Il y en a bien sûr aussi qui le font sans (rires) mais c'est valable pour tous les styles de musiques.


Dernière question: un pronostic pour le match de samedi? 

Ouhla... (rires) Je vais dire... 3-2, pour le Portugal bien sûr.


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